Traduction de l’article de Sarita Rao par Georges Pfeiffenschneider
https://luxtimes.lu/education-and-family/42400-eileen-chose-a-self-directed-path-to-education
L’apprentissage autonome gagne en popularité, car les parents se demandent si une éducation traditionnelle permettra à leurs enfants de s’équiper pour l’avenir. Une adolescente qui a pris ce chemin n’a jamais regardé en arrière.
À huit ans, Eileen détestait l’école. “Je ne voulais plus y aller. Je savais que je n’aimais pas ça”, se souvient-elle. Eileen avait fréquenté l’école publique Eis Schoul, conçue pour travailler selon les principes d’une école démocratique libre. Dans la pratique, cependant, Eileen se sentait toujours limitée.
“J’aimais lire, et mon professeur me laissait aller à la bibliothèque, mais un autre professeur me disait que je n’avais pas le droit d’y aller”, dit-elle.
Son père, Max Sauber, estime que le système éducatif traditionnel est une forme d’éducation coercitive. Il avait initialement inscrit sa fille dans un jardin d’enfants Montessori gratuit en Italie, sur le modèle d’un concept pédagogique de Rebecca Wild, née en Allemagne, et qui encourageait l’apprentissage libre.
Incapable de trouver quelque chose de similaire au Luxembourg, Sauber a pris ce que de nombreux parents pourraient considérer comme une mesure radicale et a gardé Eileen à la maison pour lui permettre de pratiquer l’éducation autodirigée (EAD). “Pour moi, il n’était pas acceptable de forcer l’apprentissage, car l’enfant doit être au centre de sa propre éducation”, explique-t-il.
“Moi j’ai quitté l’école à 16 ans. Je n’ai jamais été vraiment heureux. Je m’ennuyais et j’étais insatisfait, et je suis sûr que je n’étais pas le seul enfant à ressentir cela”, dit-il. Mais ses amis ont vu d’un mauvais œil son choix de retirer Eileen de l’école : “J’ai travaillé comme professeur de musique, et beaucoup de mes amis étaient occupés dans l’éducation ou dans des écoles. Ils l’ont pris personnellement, et beaucoup se sont sentis blessés par notre décision”.
Naturellement curieux
Pourtant, Sauber estime que la plupart des écoles fonctionnent sur l’idée que “les gens, y compris les enfants, sont intrinsèquement mauvais, paresseux, démotivés et qu’on ne peut pas leur faire confiance”. En réalité, les enfants sont curieux et – laissés à eux-mêmes – motivés pour apprendre. “[Alors que] si vous êtes forcé d’obéir à l’école, vous deviendrez un adulte qui pense qu’il est normal de ne pas tenir compte des droits et du consentement des autres”.
Eileen, qui a maintenant 17 ans, a du mal à préciser qu’elle n’est pas scolarisée à domicile, mais qu’elle dirige son propre apprentissage. “J’apprends des choses tous les jours. Je suis libre de faire ce que je veux, quand je veux. J’ai toujours appris les choses que j’avais besoin de savoir. Par exemple, quand j’étais jeune, j’adorais faire de la pâtisserie, mais la quantité dans les recettes était trop importante. J’ai dû utiliser les mathématiques pour faire de plus petites quantités”, se souvient-elle.
Max Sauber a été grandement aidé par les travaux de Peter Gray, professeur de psychologie au Boston College, qui estime que l’éducation est la somme de tout ce qu’une personne apprend pour mener une vie satisfaisante. Selon M. Gray, la plupart de l’éducation se fait naturellement et efficacement en dehors de l’école formelle, par le jeu, l’observation, l’exploration, la conversation et la collaboration. L’EAD imite cela en permettant à un enfant de déterminer le rythme de sa propre éducation, sauf lorsqu’il demande une orientation, par exemple par le biais d’un enseignement démocratique ou à domicile.
Tout le monde a le droit de vote
Riverstone Village est une communauté d’apprentissage tout au long de la vie autogérée en Afrique du Sud où les jeunes suivent leurs propres intérêts en utilisant l’aide des adultes uniquement lorsqu’ils en ressentent le besoin. Les membres du personnel ne décident pas ce que les jeunes apprennent, ni comment et quand, et ils n’évaluent pas les progrès.
“Il n’y a pas de directeur ou de chef d’établissement, tout est décidé par une réunion. Chaque jeune a une voix, tout comme chaque membre du personnel. La réunion fixe les règles, décide de la manière dont le budget sera dépensé et de l’utilisation des ressources. De cette façon, les jeunes sont littéralement responsabilisés au lieu d’étudier théoriquement la démocratie et la responsabilisation”, explique Je’Anna Clements, qui a créé la communauté. “Les jeunes ont la possibilité d’apprendre de leurs erreurs – c’est une façon très concrète d’apprendre”.
La créativité est vitale
Les enfants du village de Riverstone apprennent à résoudre les conflits, à maîtriser leurs émotions et à penser de manière créative, ce qui, selon Mme Clements, est essentiel car les capacités traditionnelles sont moins demandées.
L’accent est mis sur la communication, les compétences sociales et le jeu pour apprendre. “Beaucoup d’adultes font l’erreur de penser que les jeunes ne font que jouer ou bavarder, et n’apprennent pas. En fait, les compétences sociales sont la chose la plus complexe que l’on puisse maîtriser, et il y a une bonne raison pour que les jeunes passent autant de temps à travailler sur ce sujet”, dit-elle. “La résolution des conflits et la négociation, l’empathie, l’éthique, la pensée critique et la conscience de soi ne peuvent s’apprendre que par l’interaction dans la vie réelle”, ajoute-t-elle.
Les gens pensent qu’il est difficile d’apprendre à lire ou à faire des mathématiques, dit Mme Clements, mais c’est souvent le cas parce que les enfants reçoivent tous le même enseignement en même temps – souvent avant qu’ils ne soient prêts. “Dans l’EAD, nous ne considérons pas la lecture et les mathématiques comme plus importantes que la peinture et la couture. Ce qui compte, c’est que les jeunes fassent ce qui leur plaît pour qu’ils puissent prendre confiance en eux. Quand la confiance est élevée, ils apprennent naturellement à lire et à faire des maths, une fois qu’ils sont vraiment prêts et qu’ils trouvent une raison qui a un sens pour eux”, explique Mme Clements.
Les signes révélateurs que votre enfant pourrait ne pas être à sa place dans l’enseignement ordinaire sont un enfant qui dit constamment qu’il déteste l’école, qui tergiverse à propos de ses devoirs, qui semble toujours fatigué après les cours ou qui est en conflit à l’école, dit Clements, citant un article de Jerry Mintz. “Ce n’est pas parce qu’un enfant semble s’en sortir que la situation est bonne pour lui. Il y a souvent un coût caché, à long terme”, dit-elle.
Le plus grand obstacle à surmonter lorsqu’on envisage l’EAD est de se sentir seul et incertain, dit Clements. C’est pourquoi Sauber a rejoint l’ALLI asbl*, un forum pour les parents. Les parents n’ont pas besoin de qualifications pédagogiques, dit Clements, mais doivent prendre le temps de soutenir les enfants, en agissant comme des facilitateurs et non comme des enseignants. Elle a soutenu un certain nombre de parents célibataires et actifs qui souhaitaient que leur enfant suive l’EAD.
Au début, Sauber n’avait pas une idée précise de ce à quoi s’attendre. “Mais si vous faites ce saut dans l’inconnu, c’est incroyable ce que vous trouvez. Vous devez faire confiance à votre enfant pour qu’il soit responsable”. Sa fille est d’accord : “Ne vous inquiétez pas qu’un enfant n’apprenne pas, tout ce dont il a besoin viendra au moment où il en aura besoin”. +++
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*Asssociation luxembourgeoise pour la liberté d’instruction
Article de Sarita Rao paru dans le Luxembourg Times le 28.11.2020